Les attaques chimiques en Syrie, pourquoi, comment

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L’actualité géopolitique est chargée cette semaine, avec l’attaque chimique qui a eu lieu sur la population civile de Douma, une ville de la banlieue de Damas, le 7 avril dernier. Le lieu étant un fief rebelle, on impute facilement la responsabilité de l’attaque au régime syrien, qui a déjà fomenté des attaques chimiques à plusieurs reprises depuis le début du conflit. Obama avait dressé comme « ligne rouge » les attaques chimiques, promettant la riposte armée s’ils avaient lieu. Or son administration n’avait pas réagi lors d’attaques au gaz en 2013. Trump promet de ne pas imiter son prédécesseur et de riposter, comme il l’a fait en 2017. Suite aux dernières attaques, il a affirmé préparer une attaque encore plus musclée, sans précisions. Emmanuel Macron et Theresa May se sont joints à la promesse, le premier certifiant détenir les preuves de la culpabilité du régime d’al-Assad. Cette newsletter est presque entièrement consacrée à la question syrienne, tout en restant dans le flou quant au futur proche de ce conflit, et sur l’occurrence ou non d’une intervention américaine. Nous verrons d’abord plus en détails la question des attaques chimiques, en quoi elles varient en nature et en perception pour la communauté internationale. On verra ensuite pourquoi, de manière plutôt surprenante, la Turquie et la Russie se sont rapidement rapprochées ces derniers temps, au grand dam de l’OTAN. On évoquera brièvement le cas inquiétant de l’absence d’éducation chez les enfants réfugiés syriens, l’aspect politique de la vente d’armes, puis on finira sur une vidéo, en français pour une fois, sur la Lawrence d’Arabie au féminin, que l’Histoire a tendance à bien plus oublier que son homologue masculin. Bonne lecture!

Les attaques chimiques et les attaques moins chimiques
Une attaque chimique sur des populations civiles a eu lieu récemment dans un territoire rebelle près de Damas. Beaucoup accusent instantanément le régime syrien (et la complaisance de son allié russe) puisque la zone affectée abrite des groupes rebelles, assiégés depuis cinq ans. L’attaque aurait tué une quarantaine de personnes. Le tollé international est vif, alors que 40 civils tués dans des bombardements ne semblent plus trop éveiller les consciences.Il est intéressant de se demander pourquoi le tabou entourant les armes chimiques est bien plus présent. Naturellement, il vient principalement de l’interdiction des attaques chimiques globalement assez bien respecté. Mais c’est aussi la nature de ces attaques, volontairement très meurtrières et indiscriminées: on ne peut pas limiter une attaque au gaz, les vents se chargent de tuer tout le monde autour. La mort des personnes, en grande partie des civils, est généralement accompagnée de grandes souffrances. Mais CBS News cherche à approfondir encore plus la réflexion: la contrariété de la communauté internationale peut varier selon le type de gaz utilisé. La Syrie a, à plusieurs reprises, utilisé du chlore pour ses attaques chimiques. Il se trouve que la production de chlore n’est pas interdite par le droit international (ce serait embêtant pour les piscines). Or si on observe une attaque au gaz sarin, lui strictement interdit dans sa production et évidemment son utilisation, les condamnations internationales seront alors bien plus véhémentes, l’État incriminé ayant tenu une production clandestine de gaz sarin, ou ayant obtenu le produit par un marché noir que les autres États cherchent, normalement, à anéantir. 

Un autre enjeu concernant la dernière attaque chimique dans la Ghouta: le régime syrien s’est engagé à déclarer tous ses stocks de gaz sarin pour les faire détruire par un partenaire de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques. S’il s’avère que le régime syrien a dissimulé une partie de ses stocks, et a menti à une organisation de renom, la communauté internationale risque d’en être très peu heureuse, et la Russie pourra difficilement défendre son copain.

Notons tout de même une chose: aucune enquête indépendante n’a encore été effectuée. L’ONU avait confirmé la responsabilité du régime syrien dans de nombreuses attaques au gaz, mais suite à de longues enquêtes. Par bénéfice du doute, on peut dresser d’autres scénarios possibles:

  • Une milice pro-syrienne ou un commandant ripou a proféré l’attaque hors de tout commandement de Damas
  • Un groupe rebelle ou djihadiste a proféré l’attaque pour imputer la responsabilité de Damas auprès de la communauté internationale, et faire son baroud d’honneur avant de perdre le territoire (c’est la version avancée par le régime syrien)
  • Des services secrets quelconques en faveur d’une intervention américaines ont planifié l’attaque (on peut penser aux États-Unis mais aussi à Israël, qui a très rapidement répliqué militairement et montre de plus en plus sa volonté de chasser les troupes iraniennes de ses frontières)

On entre ici dans la théorie du complot sans preuve, mais je voudrais souligner le fait qu’il est toujours possible que les premières impressions ne soient pas les bonnes, et qu’une riposte musclée peut envenimer une situation alors qu’il n’y a pas lieu. Je veux aussi souligner la très grande importance des enquêtes indépendantes menées par des organisations qui ne répondent pas des États eux-mêmes, mais d’institutions internationales.

La Turquie, la Russie et le chaos syrien
On revient souvent dans cette newsletter sur le cas de la Turquie. Le pays n’est pas une grande puissance, mais il joue pourtant un rôle clé dans la question syrienne. Membre de l’OTAN, il est frontalier avec la Syrie, et depuis 2016 intervient militairement au sol dans le nord du pays. Déjà avant cela, la Turquie soutenait activement des groupes rebelles syriens comme l’Armée Syrienne Libre. Pourtant, dans un revirement de situation assez impressionnant, la Turquie se rapproche de plus en plus de la Russie, alliée de Bachar al-Assad, comme nous l’explique The Guardian. Alors que les deux pays ont connu une crise d’importance en 2015 quand la Turquie a abattu un avion de chasse russe, tuant deux militaires, les deux nations n’ont cessé d’intensifier leur collaboration depuis. Ce rapprochement inclut notamment des achats d’armements russes et un dialogue croissant concernant les « zones de désescalade » en Syrie (négociations qui n’incluent plus toujours les États-Unis). Ces derniers jours, après un appel téléphonique de Vladimir Poutine, le président Erdogan a assoupli son discours accusant le régime syrien des récentes attaques, pour désormais appeler à une investigation sur le modèle de celle demandée par le Kremlin. 

Les tensions entre la Turquie et les États-Unis se sont accentuées en 2016 suite au coup d’État avorté dont Erdogan impute la responsabilité à son némésis, Fethullah Gülen, exilé aux US. Le refus américain d’extrader cet influent opposant, la potentielle participation des services secrets américains dans la tentative de coup d’État, mais aussi l’inexorable refus d’une intégration dans l’UE pousse Erdogan à se détourner de plus en plus de ses alliés historiques de l’OTAN (et de la démocratie). La Russie, elle, y voit évidemment un intérêt stratégique crucial: éloigner de l’organisation un des meilleurs atouts géographiques de l’OTAN (pays servant de base avancée au Moyen-Orient, détenant des armes nucléaires sous contrôle de l’organisation, jugulant les flux de réfugiés, permettant une surveillance de certains groupes terroristes, etc.) Le rapprochement turco-russe a été très rapide, et est une épine dans le pied pour un Occident de plus en plus méfiant de la Russie. C’est l’avenir de l’organisation qui peut être en jeu.

Les enfants syriens et l’école
Selon l’ONU, 43% des enfants syriens réfugiés dans les pays voisins (Turquie, Liban, Jordanie et Irak) ne vont pas à l’école. Les conditions sociales et économiques des familles sont dans l’immense majorité déplorable. C’est toute une génération qui est privée d’une éducation, parfois primaire. Même si la guerre civile s’arrêtait demain (ce qui n’arrivera pas, soyons clairs) le pays se retrouverait avec une jeunesse aux compétences bien moindres que dans les pays voisins, issue de familles sans ressources. Le taux d’alphabétisation va baisser, et il sera dur d’inverser la tendance. Le risque, sur le long-terme, est d’avoir formé une génération à la guerre plutôt qu’à lire et écrire. Une illustration du lien entre absence d’éducation et risque de conflit.

Le marché des armes n’est pas qu’une industrie juteuse, c’est aussi un outil politique important. Vendre des armes à un autre État crée un lien de dépendance: il reviendra plus facilement vers le vendeur pour acheter de nouveaux armements, peut négocier un partenariat privilégié, et nécessite potentiellement le savoir-faire ou les technologies nécessaires pour utiliser ces armes (on voit clairement cela avec le marché de l’aviation, où les constructeurs ne cèdent pas toujours les droits d’utilisation des logiciels d’exploitation de la machine)
Sur cette carte, les pays en bleu ont pour principale source d’achats d’armement les États-Unis, les États en rouge ont pour principale source la Russie. 

[VIDEO] Gertrude Bell et l’Orient
La très bonne chaîne d’histoire La Prof nous propose une vidéo sur Gertrude Bell, lady britannique surdouée du début du siècle qui va se trouver une passion pour les terres arabes, et va se construire une grande connaissance du système tribal qui domine cette région. Alors qu’elle part de son propre chef, sans aucune mission officielle du gouvernement britannique, elle va tout de même partager ses connaissances sur les conflits entre tribus à son gouvernement, et va commencer à jouer les diplomates officieux pour façonner les relations entre différentes communautés arabes. Elle devient une sorte de Lawrence d’Arabie au féminin, personnage historique qu’elle va rencontrer et avec qui elle va travailler. Elle devient très proche de la tribu des Hachémites, gardiens historiques de La Mecque (jusqu’à la conquête de la famille Saoud en 1925), qu’elle va aider à placer au pouvoir dans un nouvel État créé pour cette nouvelle monarchie: l’Irak. 

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