Une crise iranienne entre prolifération et incertitudes, l’Irak assoiffée, des noms de pays en évolution

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Des nouvelles rapides du Kosovo, où le Premier Ministre Ramush Haradinaj a récemment démissioné pour pouvoir librement témoigner devant une cour pénale spéciale, située à La Haye. La chambre spéciale enquête sur les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité qui ont été commis à l’encontre des Serbes du Kosovo. Ramush Haradinaj s’est fait connaître en étant un des leaders de l’UÇK, l’Armée de Libération du Kosovo ayant lutté pour l’indépendance du pays, faisant partie à l’époque de la Serbie yougoslave. La démission de Haradinaj rebat les cartes du paysage politique kosovar, des éléctions législatives devant alors se tenir en Septembre. Les controversées taxes contre les produits serbes et bosniens étaient le cheval de bataille de Haradinaj, qui ne s’entend pas spécialement avec le Président Hashim Thaçi (également ancien leader de l’UÇK accusé de crimes). Le Président va peut-être profiter du vide laissé pour avoir une plus grande marge de manoeuvre. Le parti d’opposition Vetëvendosje (“auto-détermination”), en faveur d’une politique économique de gauche et contre des négociations avec la Serbie (tant que celle-ci ne reconnaît pas le Kosovo) pourrait faire une percée lors des prochaines élections, voire les remporter en cas de coalition en sa faveur. 

Aujourd’hui on ne parlera pas du récent choix de la Turquie d’acquérir de l’armement russe. Alors que Ankara fait partie de l’OTAN, et s’est tournée vers l’Ouest depuis la chute de l’empire ottoman, les soubresauts autoritaires du président Recep Tayyip Erdoğan éloignent de plus en plus la Turquie de l’Union Européenne et de ses autres partenaires occidentaux. Il est difficile de cerner exactement ce qui a provoqué ce glissement, entre les refus constants d’intégrer le pays à l’Union et la crise interne à l’UE elle-même. Quoi qu’il en soit, la Russie et la Chine sont des acteurs de plus en plus séduisants pour les pays qui ont des difficultés à s’intégrer au système international en suivant les règles occidentales. 

On ne parlera pas non plus de la suite des combats dans la province d’Idlib en Syrie. Désormais dernier bastion de la rébellion syrienne, soutenue par la Turquie, la région subit de violents bombardements visant à asphyxier le mouvement dissident, au prix d’une grave crise humanitaire. Un triste rappel que, si l’État Islamique a été défait dans son territoire, et que les mouvements rebelles ont été vaincus dans la plupart des régions syriennes, la guerre est toujours en cours, et ne semble pas voir d’issue pacifique sous peu. 

En revanche, on va aujourd’hui beaucoup parler de la crise iranienne, au coeur de l’actualité géopolitique: d’abord en évoquant la question de la prolifération, puis en s’interrogeant sur une méthode originale pour deviner les scénarios futurs. On finira avec deux vidéos, une sur la géopolitique de l’eau en Irak, et une autre sur les pays qui changent de nom. Bonne lecture!

La crise iranienne et la prolifération 
Les relations entre l’Iran et les États-Unis n’ont jamais été très chaudes depuis la Révolution islamique de 1979, mais on entre ces derniers temps dans une des crises les plus intenses que l’on ait connu. Tout part de la décision de Donald Trump de refuser de continuer à se conformer aux engagements du traité nucléaire signé par Barack Obama (décision qui, selon des fuites, aurait pour principal but de s’attaquer à Obama plus qu’à l’Iran). Puisque le traité avait été signé par ses huit membres, ce sont les États-Unis qui ont commencé à en violer les dispositions en remettant en place des sanctions contre le pays du Moyen-Orient. Pour riposter, les autorités iraniennes ont affirmé qu’elles aussi allaient se passer de l’accord, et se sont remis à enrichir leur uranium à des taux supérieurs à ceux édictés dans le traité. Le but, évidemment, est de se procurer une arme nucléaire. La crise a escaladé en intensité avec des événements parallèles, notamment l’abattage d’un drone américain, la riposte musclée avortée au dernier moment, et la très récente capture d’un navire pétrolier anglais dans le très tendu détroit d’Ormuz.

Il est difficile d’imaginer l’Iran arriver à terminer un programme nucléaire dans ce contexte de rivalité avec les États-Unis. On envisage plutôt que Washington, ainsi que Tel-Aviv, seraient prêts à intervenir militairement pour empêcher toute accession à l’arme nucléaire chez un de leurs ennemis existentiels. Les derniers pays ayant réussi à acquérir la bombe l’ont fait dans le plus grand secret, ou par le biais de réseaux clandestins, or l’Iran développe son programme au vu et su de tout le monde, afin de montrer sa volonté mais aussi pour ne pas perdre la face auprès de sa propre population et de ses alliés anti-américains. Mais on peut tout de même se poser la question des risques pour la prolifération internationale en regardant du côté d’un autre pays: l’Arabie Saoudite. Ennemie jurée de l’Iran et principale rivale dans la région, la monarchie wahabite s’est jurée de toujours égaler la puissance de feu du voisin chiite afin de s’en protéger. Comme l’a dit le prince héritier lui-même, cela implique également l’arme nucléaire si besoin. Le pays possède déjà les capacités nucléaires suffisantes pour achever un programme nucléaire militaire en un temps relativement court, ce qui pourrait lui permettre de surprendre les puissances potentiellement opposées au projet (alors que la plupart des nations sont plus occupées à surveiller l’Iran). Pour booster ses chances, Riyadh peut compter sur des partenaires commerciaux ayant émis le souhait de vendre d’additionnelles technologies nucléaires, comme la France et la Corée du Sud, mais peut aussi compter sur son allié le Pakistan qui possède déjà l’arme nucléaire. 

La prolifération nucléaire est légalement proscrite par le Traité de Non-Prolifération (TNP), dont l’Iran et l’Arabie Saoudite sont signataires. La pression internationale contre la prolifération pourrait empêcher l’entrée de ces deux pays dans le club des puissances nucléaires, si les grandes puissances montrent assez d’opposition.

La crise iranienne, son jeu et ses scénarios
Depuis plusieurs mois, les tensions entre États-Unis et Iran s’intensifient graduellement, Washington appliquant une pression maximale sur la République Islamique et cette dernière cherchant à montrer au monde qu’elle n’est pas intimidée par ces méthodes. Comme pour toute crise, l’issue est très incertaine, et les événements peuvent prendre de nombreux chemins différents. Pour affiner ces possibilités, des chercheurs ont utilisé une méthode originale et, c’est le moins qu’on puisse dire, ludique: des “exercices de table” (c’est-à-dire une sorte de jeu de rôle plateau). Dans ce genre de procédé, plusieurs experts prennent le rôle de différents acteurs majeurs de la crise: bien évidemment les États-Unis et l’Iran, mais aussi la Chine, l’Europe, Israël, les pays du Golfe, etc. Chaque joueur connaît en profondeur la situation de l’acteur qu’ils interprètent, exposent la position qu’ils vont respecter pour le scénario testé, et déroule ensuite les événements, en décidant d’agir de telle ou telle manière.

Le jeu inclut de suivre un certain scénario. Trois scénarios ont été imaginé: un où l’escalade continue dans les quatre mois qui viennent, un où l’escalade continue après une réélection de Donald Trump, et un dernier où un nouveau Président américain cherche à retourner à la situation précédente de mise en place d’un accord nucléaire avec l’Iran. Les détails de ce qui se déroule pour chaque scénario sont détaillés dans l’article mis en lien ci-dessus, mais plusieurs grandes leçons émergent de cette simulation: l’Iran et les États-Unis ne souhaitent ni l’un ni l’autre une guerre ouverte, mais sont pris dans un engrenage les poussant à agir violemment. Pour maintenir la face, l’interprète de l’Iran a décidé de fomenter plusieurs attaques contre des forces américaines et des transports de pétrole via des groupes paramilitaires et des groupes criminels. Poussées par des considérations parfois intérieures (montrer à sa population que la République Islamique reste un chef de file anti-impérialiste), ces actions sont de possibles déclencheurs de guerre. Un autre enseignement de taille est la volatilité de deux puissances tierces: Israël et l’Arabie Saoudite. Ces deux joueurs se sont montrés particulièrement imprévisibles et agressifs, pouvant être les causes d’un déclenchement de conflit. Par ailleurs, le pays Oman s’est montré être un médiateur de choix dans les différents scénarios, mais mettre en place un agenda pour que l’Iran et les États-Unis se rencontrent s’est révélé difficile du au manque de confiance que les deux puissances s’accordent mutuellement. Le scénario d’un retour à l’accord nucléaire permet de tester la possibiité d’une nouvelle dénucléarisation de l’Iran, alors que le régime s’est durci dans ses propos anti-américains et que la confiance s’est évaporée. Toutes les parties au traité étaient d’avis de rejoindre à nouveau l’accord, mais l’Iran et les États-Unis ont avancé des conditions différentes, l’Iran souhaitant des réparations pour les trois années de violations de l’accord par Washington. Les élections en Iran, en plein dans la période étudiée, ont joué un grand rôle dans le jeu politique du pays, tiraillé entre forces modérées et radicales.

Il faut évidemment noter que ce genre d’exercice n’est pas intéressant pour ses capacités de prédictions exactes, mais plutôt pour comprendre les rouages de la crise, les intérêts des acteurs et les obstacles à la paix. Cette méthode est utilisée par les chercheurs mais également parfois par les décideurs politiques et les services de renseignement, afin de mieux comprendre ce à quoi ils font face et les risques qu’ils encourent pour chaque action décidée. C’est également un moyen de tester ses propres capacités de communication, de réaction et d’organisation dans l’urgence, comme tout autre exercice militaire.

[VIDEO] L’Irak, ses voisins et l’eau
Une grosse partie de l’Irak est composée de zones désertiques, mais le pays comprend aussi deux fleuves très importants pour l’Histoire de l’Humanité: l’Euphrate et le Tigre. Or ces deux fleuves ne prennent pas leurs sources en Irak, mais dans la Turquie au Nord, ainsi que l’Iran à l’Est. Il se trouve que ces deux pays ne se gênent pas trop pour construire d’imposants barrages qui réduisent le flot en aval, asséchant l’Irak de ses deux fleuves. Vox revient en vidéo sur la géopolitique de l’eau entre ces pays, et les conséquences pour le pays qui sort de plusieurs guerres dévastatrices. Non seulement la baisse du niveau des fleuves rend l’accès à l’eau potable plus difficile, et rend l’agriculture compliquée dans la région située entre les deux fleuves, traditionnellement fermière, mais la réduction du flot des fleuves rend également plus difficile la gestion des déchets, qui ne sont plus acheminés jusqu’à la mer par le fleuve et ne peuvent plus suffisamment se diluer, augmentant le taux de pollution de l’eau potable. Face à un flot de plus en plus faible, l’eau salée du Golfe Persique remonte le fleuve et tue une grande partie de la population de poissons d’eau douce présents. L’Irak est en reconstruction depuis les années 1990, ayant vécu trois périodes de guerre en 30 ans. Lors de la première guerre du Golfe, les États-Unis ont bombardé des installations hydro-électriques ainsi que des établissements de purification d’eau. Les tactiques contre-insurrectionnelles de Saddam Hussein ont aussi poussé à la désertification des régions fertiles, lorsqu’il ordonnait le changement de trajectoire de certaines parties des fleuves afin assoiffer les rebelles. Lors de l’avancée de Daesh dans les années 2010, les barrages irakiens furent utilisés comme des armes, coupant l’arrivée d’eau de villes entières pour rendre plus facile l’invasion puis le contrôle de ces cités. L’entièreté du réseau d’eau est aujourd’hui très affecté. La ville de Basra, proche de l’embouchure des deux fleuves, souffre particulièrement de la pénurie d’eau potable. En 2018, des émeutes liées au problème ont éclaté. On craint un cycle de violence qui se nourrit de problèmes trentenaires, rendus de pire en pire par une succession de conflits.

[VIDEO] Les États et leurs changements de nom
L’actualité récente a été marquée par l’accord sur le changement de nom de la Macédoine du Nord (dont on avait d’abord parlé ici). Les changements de noms d’États ne sont pas si inhabituels dans l’Histoire récente, et la chaîne WonderWhy nous donne un petit diaporama de différents cas, en cernant les raisons de ces changements. Un autre cas récent, moins connu. est celui du Swaziland, petite nation africaine récemment renommée Eswatini. Si la raison souvent avancée est la confusion avec le nom “Switzerland”, la décision relève surtout d’une “africanisation” du nom, le nom précédent étant issu de la période coloniale. La vidéo explique bien la différence entre l’exonymie (nom donnée à un peuple par un autre peuple) et l’endonymie (nom donné par le peuple lui-même). Les exemples de passages d’un exonyme à un endonyme sont courants dans le monde post-colonial, mais pas seulement. Le choix d’un nom d’État n’est pas nécessairement partagé par toutes les langues. Un exemple connu est le nom de l’Allemagne, très différent selon les langues: Deutschland pour les allemands eux-mêmes (donc l’endonyme), Germany pour l’anglais, Nemačka en Serbe, etc. Un exemple moins connu mais intéressant concerne l’Albanie, qui est appelée “Shqipëria” par les Albanais eux-mêmes (“la terre des aigles”, en référence à leur drapeau). Seuls les Albanais se nomment ainsi, le reste du monde ayant adopté un terme proche de “Albania”, nom d’une des tribus romaines présentes sur ce territoire. 

Une carte des différents noms donnés à l’Allemagne parmi les langages européens

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