Un rassurant Prix Nobel de la Paix, de peu rassurants cyber-soldats

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On se retrouve pour un nouveau numéro de GéoPol! D’abord quelques nouvelles du Kosovo, où la visite du Président serbe, dont je parlais la dernière fois, s’est déroulée plus ou moins sans encombre. Ce dernier a nié tout plan de redistribution des frontières, mais a également loué les mérites du criminel de guerre Slobodan Milošević. Des propos évidemment vus comme une provocation, mais pour autant il n’y a pas eu d’annonces de redistribution de territoires avec le Kosovo, projet que beaucoup craignaient. Quelques jours plus tard, le président du Kosovo s’est rendu au lac Gazivoda, dans la partie nord du pays, escorté de troupes d’élite. La Serbie a considéré un tel déploiement, dans une région qu’elle contrôle, comme une grave provocation, et a mis son armée en alerte maximale. On reste dans le spectacle, mais ces petites crises se multiplient.

Aujourd’hui, on ne parlera pas de la non-victoire du référendum sur le nom de la Macédoine (un problème dont on parlait ici). Les citoyens du pays étaient appelés à voter pour ou contre le changement de nom, en accord avec le gouvernement grec, or moins de 40% des électeurs inscrits se sont rendus aux urnes, ce qui a rendu la consultation caduque aux yeux des députés qui doivent voter le changement de nom au Parlement. Quelque chose d’intéressant à noter, la question était “Etes-vous favorable à une adhésion à l’OTAN et à l’UE en acceptant l’accord passé entre la République de Macédoine et la République de Grèce ?. Une question étrange, orientée et qui ne mentionne même pas le nouveau nom du pays. Le boycott et l’abstention ont parlé. Certains évoquent une victoire russe, Moscou se réjouissant bien que le pays ne fasse pas un pas de plus vers l’Europe. L’influence de l’Administration Poutine sur le résultat reste à déterminer.

On ne parlera pas non plus des accusations envers le gouvernement iranien concernant un projet d’attentat en France, puisque l’on reste justement au stade d’accusations récentes. Il est quand même intéressant de noter que les soupçons peuvent paraître crédibles vue la cible de l’attentat déjoué (un rassemblement de l’opposition au régime iranien) mais aussi vue l’histoire des relations étroites entre l’Iran et le terrorisme. Tout comme la Libye de Kadhafi en son temps, et la Corée du Nord il n’y a pas si longtemps, l’Iran est un pays de moyenne puissance relégué au rang de paria du système international, et le soutien au terrorisme international est un moyen de protéger ses intérêts à l’étranger tout en protégeant son image de pays en fronde contre l’injuste système international. Il sera dur de faire la lumière sur les responsabilités exactes de l’Iran dans l’attentat déjoué de Villepinte, mais les allégations ne sont pas insensées. 

Aujourd’hui on parlera donc du Prix Nobel de la Paix 2018 tout fraîchement décerné, des risques de cyber-guerre, des militants terroristes en Europe, et on finira avec un formidable documentaire multimédia sur les essais nucléaires français en Polynésie. Bonne lecture!
 

Le médecin, la victime et le Nobel
Martin Luther King, Mère Térésa, le Dalaï Lama et Nelson Mandela font partie d’une même liste, celle des illustres Prix Nobel de la Paix. Deux nouvelles personnes viennent aujourd’hui d’y inscrire leurs noms: Denis Mukwege et Nadia Murad. Le premier est un gynécologue congolais pratiquant depuis des décennies de la chirurgie réparatrice pour les femmes victimes de viols dans son pays en guerre. Surnommé “L’homme qui répare les femmes”, il est l’un des principaux porte-voix de ces victimes de la guerre dont peu parlent. La deuxième lauréate, Nadia Murad, est une militante yézidie, cette minorité religieuse kurde qui a été violemment persécutée par l’État Islamique lors de son expansion territoriale (atrocités désormais considérées comme génocide). Nadia Murad est une survivante de l’esclavagisme sexuel mis en place par le groupe terroriste qui ciblait tout particulièrement son peuple. Après avoir réussi à s’échapper, elle est devenue une des principales porte-parole de sa communauté, se relevant difficilement du traumatisme collectif (plus de 3000 femmes yézidies sont toujours portées disparues) et dont la sécurité reste très fragile. Elle a 25 ans.

De nombreux journalistes avaient parié sur un Prix Nobel de la Paix bien différent: beaucoup pensaient que seraient récompensés les chefs d’États ayant participé à l’appaisement des tensions dans la péninsule coréenne, c’est à dire Moon Jae-in, Donald Trump, et même Kim Jong-un. Les tout nouveaux messages de paix provenant des deux Corées ont été une surprise, et sont effectivement une petite révolution pour la paix mondiale, ce qui explique ces prévisions chez les médias. Pour autant on peut décerner quelques raisons évidentes pour le refus d’un tel choix par le Comité Nobel norvégien. D’abord pour éviter de consacrer un des pires régimes autoritaires existant aujourd’hui. Couronner Kim du prestigieux prix revient à légitimer, au moins en partie, son régime sanguinaire que l’on soupçonne entre autres de toujours posséder des camps de concentration pour prisonniers politiques. Ne pas remettre le prix à Kim serait également une difficile décision sachant qu’il fait partie intégrante du processus de paix avec son voisin sud-coréen. De même, remettre le prix à Trump aurait été une manière de légitimer un autocrate adepte de rhétoriques mégalomaniaques, qui participe peut-être à la pacification des Corées mais dans le même temps revient sur un traité nucléaire essentiel pour la paix en Iran, a proposé d’envahir le Venezuela, et entame une guerre économique qui pourrait avoir des répercussions mondiales. Le Comité Nobel a pris une sage décision pour éviter les polémiques (même si l’on peut toujours s’attendre à un tweet mécontent de Trump). On peut se demander si le comité va désormais plutôt célébrer des activistes de la vie civile plutôt que des militants ou personnages politiques, afin d’éviter les déconvenues comme avec Aung San Suu Kyi, aujourd’hui mise en cause dans le génocide des Rohingas, ou avec Barack Obama, décrié pour son programme de drones notamment en Afghanistan.

Les États et la cyber-guerre
On entend régulièrement parler d’attaques informatiques de plus ou moins grande ampleur fomentée par des personnes lambdas, ou des groupes d’activistes. Mais on entend aussi de plus en plus parler d’attaques fomentées par des groupes de hackers liés à des États. Dans un monde ultra connecté, depuis la base de données des hôpitaux jusqu’à nos voitures, une attaque d’ampleur pourrait être dévastatrice. Pour David Sanger, dans une interview par le Bulletin of Atomic Scientists, une telle attaque pourrait même être plus dévastatrice qu’une attaque nucléaire. Pour lui, si une cyber-attaque peut être très ciblée, sur une seule personne ou un seul bâtiment, elle peut aussi toucher tout le réseau électrique, ou militaire, d’un pays. Le cyber-espionnage permet de recueillir une quantité d’informations exceptionnelle, qui peuvent servir à des fins d’agression d’une autre nation. Le virus NotPetya, probablement lancé par les Russes en 2017, s’est propagé de manière incontrôlée dans toute l’Europe, allant jusqu’à faire des dégâts même en Russie. Ce genre d’attaques aux répercussions incertaines et aux cibles très larges peuvent avoir des conséquences énormes sur des nations entières. Actuellement, aucune norme internationale ne régule ce genre de nouvelles armes. L’auteur milite pour un équivalent de la Convention de Genève adapté au cyber-espace. Pour l’instant, les États dotés de puissances de cyber-attaques jouent un fragile jeu de dissuasion, laissant comprendre sporadiquement les capacités dont ils sont dotés pour faire craindre à un potentiel agresseur un vrai retour de bâton en cas d’agression. Mais en l’absence d’une doctrine claire sur la question, les États ne connaissent pas les intentions des autres lorsqu’ils découvrent un de leurs logiciels espion, ou décèlent une nouvelle technologie guerrière prête à l’emploi. Le cyberespace ressemble de plus en plus à un vaste champ de bataille, qui pourrait avoir des répercussions désastreuses dans le monde physique.

À noter que si la Corée du Nord peut se permettre d’être aussi avancée et agressive sur le plan de la cyber-guerre, c’est pour une bonne raison: elle n’a pas internet. Le nombre de connexions depuis le pays est tellement ridicule qu’une cyber-attaque contre cet État n’aurait aucune importance. Les institutions publiques tout comme les particuliers ne dépendent pas d’un réseau internet. Les nord-coréens peuvent cyber-attaquer sans craindre de riposte de la même nature.

L’Europe et les terroristes
Le think-tank GLOBSEC a récemment publié une étude sur les terroristes européens des années 2010, leurs caractéristiques et leurs processus de radicalisation. Les chiffres n’ont rien de très déconcertants: la vaste majorité sont des hommes, ayant en moyenne 30 ans, avec un faible niveau d’éducation et un passé de criminel (non-lié à des activités terroristes). Il est toutefois intéressant de noter, une fois encore, qu’une bonne partie des anciens terroristes étudiés se sont radicalisés par des proches, en ligne, ou en prison, et que les processus de radicalisation s’étendent sur des durées très longues. Très peu de terroristes se sont radicalisés en moins de six mois. Notant ces observations, le rapport préconise de ne pas inclure uniquement les unités anti-terroristes dans la lutte contre ces phénomènes, mais aussi les institutions ayant un premier contact ou un contact permanent avec les potentiels terroristes: la police, l’école, le système de santé, l’entourage proche, etc. Le rapport parle de “décentralisation” de la lutte anti-terroriste. 
À noter que la grande majorité (73%) de l’échantillon de terroristes étudiés a vécu la plus grande partie de sa vie sur le territoire européen, la plupart y étant né et y ayant grandi. Une telle observation écarte tout lien entre le terrorisme et la récente vague migratoire.

[MULTIMÉDIAS] La France, la bombe et Mururoa
Nuclear Dissent est un excellent reportage transmédias sur les essais nucléaires français dans l’atoll de Mururoa. Très immersif, il permet de saisir les raisons de ces essais, l’impact sur les populations locales, de l’espoir au désenchantement, et les conséquences à long-terme pour toute une région. Le documentaire couvre aussi la courageuse résistance de plusieurs activistes internationaux, dont l’un perdra la vie à bord du Rainbow Warrior en 1985, ainsi que du gouvernement Néo-Zélandais, depuis toujours en pointe dans la lutte contre l’armement nucléaire. Mururoa n’était qu’un atoll parmi d’autres qui ont subi les conséquences indirectes d’une course à l’armement entre grandes puissances.

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