La guerre dans l’espace, la géopolitique du football et le retour en puissance des villes

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Alors que la France continue son chemin vers la finale de la Coupe du Monde, on va aujourd’hui regarder un peu ailleurs dans le monde. On ne parlera pas des soubresauts de la relation USA-Corée du Nord, qui semble gravement refroidie suite à la visite du Secrétaire d’État américain Mike Pompeo les 6 et 7 juillet. Qualifié de “gangster” suite à son attitude effrontée vis-à-vis des hauts diplomates nord-coréens, ces derniers regrettent la tournure qu’a pris la récente rencontre entre les deux pays. Un revirement, peu surprenant, qui arrive après une intense campagne de communication sur les avancées pour la paix, à la fois côtés américain et coréen. Une communication tellement rodée que la Corée du Nord s’est retrouvée bien obligée de changer sa propagande visuelle viscéralement anti-Américaine. Vont-ils sortir à nouveau leurs vieux posters dépeignant de sanguinaires soldats américains?

On ne parlera pas non plus de l’élection de Andrés Manuel López Obrador, dit AMLO, comme nouveau président du Mexique avec 53% des voix. Suivant une ligne politique fortement à gauche, il est considéré comme étant le premier président mexicain de gauche non-centriste depuis les années 1930. Qualifié par certains de populiste, par d’autres d’une alternative nécessaire, il a axé sa campagne sur la lutte contre la corruption et la criminalité, deux fléaux du pays (plus de 130 politiques ont été tués depuis le début de la campagne présidentielle en question). AMLO pose la question de l’avenir des gauches dans les Amériques, selon la réussite de ses réformes économiques à venir. Il sera également un acteur crucial dans la relation entre le Mexique et les États-Unis, notamment sur les questions d’immigration et de sécurité.

On va en revanche aujourd’hui s’attarder sur des thèmes un peu moins “news”. On va d’abord parler de la géopolitique de l’espace, avec les dangers de sa potentielle militarisation. On évoquera ensuite un bon exemple de la politisation de la Coupe du Monde avec le match Suisse – Serbie, puis on s’interrogera sur l’avenir de l’État-nation et le possible futur retour en force de la “cité-État”. Enfin on finira avec une vidéo sur l’histoire incroyable et héroïque de Vassili Arkhipov, militaire soviétique qui a certainement évité une guerre thermonucléaire à lui tout seul. Bonne lecture!

La guerre et l’espace
Dans une énième mystérieuse annonce, Trump a affirmé vouloir envoyer une armée dans l’espace.Risible ou ambitieux, cela interroge sur un sujet souvent laissé à l’écart des recherches en sécurité: la possibilité d’une course à l’armement dans l’espace, et à terme la possibilité d’un conflit bien au dessus de nos têtes. Wired pousse la réflexion dans un long article.

Depuis des décennies, les forces armées des grandes puissances basent de plus en plus leurs technologies sur des outils satellitaires, notamment le GPS. Depuis la destruction par missile d’un satellite chinois par le gouvernement chinois en 2007, les stratèges militaires ont pris conscience d’une menace nouvelle. Si d’aventure une puissance militaire serait capable d’abattre des satellites, cette dernière pourrait paralyser bon nombre de forces armées dans le monde, depuis les soldats au sol jusqu’aux porte-avions. La technologie satellitaire est utilisée militairement pour patrouiller des rues à l’étranger, pour repérer des tirs de missiles ennemis, pour verrouiller la cible de ses propres missiles, pour naviguer en mer, etc. La Chine, les États-Unis et la Russie sont les trois pays à s’affronter actuellement dans la course à l’armement anti-satellites. Les militaires sont à nouveau formés à la localisation sans technologie, par l’observation du ciel notamment, pour être prêt en cas de privation des technologies GPS (un type de formation qui était de plus en plus abandonnée depuis l’omniprésence du GPS).

Mais le GPS, on le sait tous, a également des applications importantes dans la vie quotidienne civile. Bien sûr pour se repérer dans une ville via son smartphone, pour que le chauffeur Uber puisse vous conduire à destination, mais la technologie est aussi utilisée par les distributeurs de billets, l’aviation civile, le réseau téléphonique mobile et même la technologie derrière les cartes de crédit. Une privation de cette technologie, suite à une attaque ou une grave malfonction, pourrait plonger l’économie mondiale dans le chaos. 

Un traité de 1967 toujours en vigueur protège l’espace et notamment la Lune de tout armement nucléaire et d’actes militaires sur les corps célestes. Mais l’accord vieux de plus de 50 ans ne prenait pas en compte le cas chinois de destruction de satellite à l’aide d’un missile, et semble trop faible pour protéger l’Humanité d’une guerre de l’espace. La décision de Trump d’envoyer un corps de l’armée dans l’espace prend un peu plus de sens quand on comprend les enjeux militaires au-delà de notre atmosphère. Une annonce qui a un air de science-fiction, mais qui a surtout un goût de danger…

Le foot, le nationalisme et la guerre
Un titre un peu provocateur, mais le but ici sera de rappeler que le foot, et surtout une compétition visionnée dans le monde entier, reste politique. Le 22 juin se sont affrontées les équipes de la Serbie et de la Suisse. Cette dernière a gagné 2 – 1, mais ce qui a marqué les esprits c’est surtout le geste de célébration des deux buteurs helvètes. Les deux joueurs suisses, Granit Xhaka et Xherdan Shaqiri, sont des Albanais originaires du Kosovo, pays que leurs parents ont fui lors des guerres d’ex-Yougoslavie dans les années 1990 (on résumait déjà l’histoire de la guerre au Kosovo ici pour ceux qui ont oublié). Affronter la Serbie avait évidemment pour eux une dimension bien plus que sportive. Le geste mimant l’aigle albanais, aujourd’hui la majorité ethnique du Kosovo semi-indépendant (la Serbie ne reconnaît toujours pas l’indépendance), a été vécu par les Serbes comme une évidente provocation, hautement politique. Les joueurs seront par la suite sanctionnés, mais leur victoire, et leur geste, ont été largement fêtés à travers tout le Kosovo. Un message pour tous ceux qui pensent encore que les grandes compétitions sportives n’ont plus rien de politique.

Granit Xhaka et Xherdan Shaqiri mimant l’aigle du drapeau albanais pour célébrant leurs buts respectifs

L’État-nation, la cité-État et le futur
Aeon, site recueillant des essais principalement philosophiques, se pose une question intéressante: et si l’on assistait au retour des cités-États? Aujourd’hui, le modèle de régime politique qui domine le monde est celui de l’État-nation, c’est-à-dire une communauté de personnes rassemblés selon certaines caractéristiques (la nation) qui s’organisent politiquement sur un territoire souverain qu’ils contrôlent (l’État). Comme le mentionne le texte, il est difficile désormais d’imaginer le monde autrement, tant ce modèle s’est imposé de partout. Pourtant il n’y a pas si longtemps subsistaient les empires (avec une volonté d’expansion quasi-constante) et les cités-États. Ces dernières ont dominé la vie politique de certaines régions d’Europe Europe pendant de longs siècles, fonctionnant comme villes marchandes où le passage est libre (contrairement à l’État-nation, la cité-État n’a généralement pas de frontières). Alors que la globalisation continue son inexorable poursuite, et que le progrès dans les télécommunications accélère l’effacement des frontières, l’auteur, comme beaucoup avant lui, s’interroge sur l’avenir de l’État-nation, mais aussi sur la pertinence de revenir au local, avec la souveraineté de la ville dans un monde inter-connecté. Alors que l’État-nation perd de plus en plus le contrôle sur de nombreux domaines (environnement, cyberespace, migration, etc.) les villes, à l’écosystème politique et économique plus dense car plus réduit, gagnent en pouvoir et commencent à interagir entre elles sans intervention de leur gouvernement national. Même le Forum Économique Mondial s’interroge sur cette tendance.

Traditionnellement, ce genre de souhait de désintégration de l’État au profit de cités marchandes est liées au libertarianisme, une idéologie ultra-libérale consacrant la liberté absolue des marchés (y compris dans les domaines de la santé, l’éducation, la police, etc.) et des individus (vus seulement comme des agents économiques). L’idée est que si l’État-nation est abattu, les régulations des acteurs économiques tombent avec lui, et les investisseurs de tous poils ne seront plus embêtés par les règles les limitant dans leurs ambitions compétitives. Je me permets donc de partager une nouvelle fois (ça ne sera que la quatrième dans ces 21 épisodes de GéoPol) la page Wikipedia de Murray Bookchin, anarchiste américain qui imagine une transition du pouvoir politique vers la ville, mais dans un système de démocratie directe et de justice sociale, des principes bien étrangers à nos chers libertariens. 

[VIDEO] Vassili Arkhipov et le refus de la guerre
En pleine crise des missiles de Cuba, un sous-marin nucléaire russe subit la pression de charges de profondeur américaines, utilisées dans ce cas-ci pour faire monter le submersible à la surface. Les détonations, proches du sous-marin, font monter la température dans l’habitacle, menaçant l’équipage soviétique. Le contact radio avec l’URSS a été perdu depuis plusieurs jours. Les ordres concernant les conditions adéquates pour tirer l’arme nucléaire étant peu claires pour le cas présent, mentionnant seulement de tirer en cas d’attaque envers le sous-marin ou sur ordre direct de Moscou, les trois officiers supérieurs à bord débattent de l’opportunité de tirer un missile nucléaire. Ces trois hauts gradés doivent être unanimes pour que la décision soit prise. Coupés du monde, le capitaine du navire et l’officier politique pensent que la guerre a déjà éclaté à la surface, et qu’il est temps de lancer l’arme nucléaire, même si cela implique le suicide. Vassili Arkhipov, commandant de la sous-flotille, sera le seul à s’opposer au lancement d’une attaque nucléaire, préférant attendre les ordres de Moscou. Comme dans le cas de Stanislas Petrov, on considère que Vassili Arkhipov, à lui seul, a sauvé le monde d’une guerre thermonucléaire. La chaîne Dark Docs revient sur son histoire en vidéo.

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