Les séparations de migrants américains, le nouveau président colombien, le projet fou des Saoudiens

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On fête aujourd’hui la vingtième newsletter, et on le fête dignement avec un épisode un peu long et plein de vidéos! On n’évoquera pas en détails la réélection d’Erdogan en Turquie, qui même si elle n’était pas assurée n’est pas une grande surprise (et pas un grand bouleversement géopolitique puisqu’il continuera ses politiques autoritaires et belliqueuses). On n’évoquera pas (encore) les élections de dimanche au Mexique, mais c’est un événement à suivre (et je conseille la dernière vidéo de John Oliver pour en comprendre les enjeux).

On va par contre évoquer la situation des familles migrantes séparées aux États-Unis, même si le lien avec la géopolitique est maigre, puisque cette politique a des retentissements larges et potentiellement dramatiques. On va évoquer aussi le nouveau président colombien, qui va peut-être fragiliser la paix nouvelle et relative dans le pays. On évoquera aussi un projet démesuré, pour ne pas dire complètement fou, de l’Arabie Saoudite. Et on finira avec pas moins de quatre vidéos, sur l’islamisme en Afrique, sur les attentats de Louxor en 1997, sur la biographie de Kim Il-sung et sur l’Histoire de la première guerre de l’opium entre la Grande Bretagne et la Chine. Bonne lecture!

Trump et les enfants migrants
Le cœur du débat politique aux États-Unis ces derniers jours concerne la politique de “tolérance zéro” promise par Trump, dont les mécanismes légaux ont poussé à la séparation de familles de migrants traversant les frontières, et l’internement de mineurs dans des centres de rétention n’accueillant que des enfants. On estime qu’environ 2000 enfants ont été séparés de leurs parents en six semaines. Suite à d’importantes contestations, sur la scène diplomatique mais aussi dans les rues américaines, l’Administration Trump a déclaré revenir sur cette politique, et le Président a signé un décret pour empêcher la séparation des familles. Le sort des 2000 enfants déjà séparés reste incertain, plusieurs experts affirmant qu’il y a une bonne probabilité que leurs noms soient perdus dans le système, et qu’il soit impossible de retrouver leurs parents, parfois déjà expulsés.

Au delà de l’idéologie nauséabonde qui pousse à ces mesures inhumaines et flirtant avec la violation du droit international, il faut comprendre que l’idée derrière ces choix est de “dissuader” les migrants de venir sur le sol américain. La théorie de la dissuasion, peu importe dans quel domaine, implique l’idée que si l’on augmente drastiquement les coûts et désavantages de l’adversaire, ce dernier préférera ne pas agir. Menacer d’annihiler la Russie si elle lance l’arme nucléaire en premier implique par exemple un coût assez conséquent pour la dissuader de tirer. Appliqué au domaine migratoire, l’idée est que les migrants sachent que s’ils entrent sur le territoire, ils seront séparés de leurs enfants. Le biais dans cette réflexion est que les migrants ne sont pas forcément au courant de cette nouvelle mesure, qui tombe en plein milieu de leur voyage clandestin qui peut durer plusieurs mois voire années, mais aussi que lorsqu’il s’agit de vie ou de mort, notamment pour ceux fuyant les violences de l’Amérique centrale, une séparation est préférable au décès.

Trump a réitéré sa volonté de durcir les politiques d’immigration, en soumettant l’idée de renvoyer les migrants “sans juges et sans tribunaux”, autre violation flagrante du droit international mais aussi de la Constitution des États-Unis. Alors que le pays vient de quitter le Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU, l’Administration Trump semble vouloir montrer que le droit international reste secondaire pour eux. Une vague de régimes anti-immigration apparaît également l’Europe, avec des positions qui se durcissent en Hongrie, en Autriche, au Royaume-Uni et en Italie entre autres. Reste à voir à quel point le droit des migrants peut toujours être protégé par les institutions internationales.

La Colombie, le président et la paix fragile
Les récentes élections présidentielles en Colombie étaient fortes en symboles et en potentielles conséquences. Deux candidats se sont affrontés: d’un côté Gustavo Petro, ancien guérillero puis maire de Bogota, représentant une gauche bolivarienne moderne, de l’autre Iván Duque, très proche de l’ancien président Álvaro Uribe et proche de la droite dure. C’est ce dernier qui a remporté les élections le 17 juin dernier. Comme l’écrit Le Monde, le nouveau président représente “le visage aimable d’une droite dure”. Mais au-delà de l’affrontement gauche-droite, c’est l’avenir des accords de paix signés en 2016 avec les FARCs qui est en jeu. À la manière de Trump avec l’accord nucléaire iranien, Duque promet de revenir sur les termes de l’accord de paix qu’il trouve trop en faveur du groupe armé (qui a aujourd’hui déposé les armes et s’est transformé en parti politique légal). Les accords de paix avaient été une première fois rejetés par référendum, avant d’être révisés et acceptés lors d’un second vote populaire. L’élection de Duque pourrait aggraver la fracture sociale dans un pays marqué depuis des décennies par les violences et la criminalité, et dont le voisin vénézuélien est au bord de l’éclatement. 

L’Arabie Saoudite, le Qatar et la mer
Une actualité très peu commune, dont on pourrait croire qu’elle est tirée d’un site parodique: l’Arabie Saoudite souhaiterait faire du Qatar une île. Les relations entre le petit émirat et son voisin saoudien sont très froides depuis que ce dernier accuse le premier d’être trop proche de l’ennemi iranien, ainsi que ses alliés le Hezbollah et le Hamas. Après un blocus peu fructueux, puisque le Qatar pouvait se ravitailler via l’Iran, ce projet (toujours non-confirmé officiellement) de canal le long de la frontière terrestre serait une nouvelle mesure drastique pour étouffer le petit mais riche État. Histoire d’accentuer la démesure du projet, le royaume saoudien voudrait également utiliser une partie du canal comme site d’enfouissement de déchets nucléaires. La légalité d’un tel projet, même si mis en place sur le territoire souverain saoudien, est évidemment très douteuse (faire d’un État une île sans son consentement, c’est pas génial). Mais ça resterait, à ma connaissance, une première dans l’Histoire, ce qui promettra aux juges internationaux (qui seront certainement saisis) de longues séances d’arrachages de cheveux. Il est probable que certaines puissances mondiales ne soient pas non plus fans de l’idée.

La situation de la péninsule qatarie, frontalière avec l’Arabie saoudite

[VIDEO] L’Afrique et l’islamisme
Vox propose une courte vidéo pour expliquer la propagation relativement récente de l’islamisme dans certaines régions africaines. Ces groupes, qui se réclament pour la plupart d’Al Qaeda ou de l’État Islamique (deux groupes désormais en général rivaux) vont s’installer dans des régions où les gouvernements n’ont pas une forte emprise, sont facilement corruptibles, et où la situation est déjà critique pour les populations sur place. Ces groupes sont très présents au Nigéria avec Boko Haram, au Mali (repoussés vers le Nord par l’armée française) et dans toute la bande désertique du Sahel. Ils multiplient les actes terroristes, du kidnapping aux attaques d’ambassades.

[VIDEO] Louxor et la terreur
La chaîne Horror Humanum Est, spécialisée dans la narration d’événements historiques répugnants, se penche cette fois sur les attentats de Louxor de 1997, où une poignée de terroristes se sont introduit dans un site archéologique très touristique pour massacrer 62 personnes, à grande majorité des touristes internationaux. Comme l’explique la vidéo, la logique derrière ce genre d’actes est de heurter le gouvernement, puisque les recettes du tourisme ont drastiquement baissé dans les mois à venir, mais aussi de faire de la publicité pour le groupe islamiste.
La deuxième partie de la vidéo revient sur les raisons de l’existence du terrorisme, un des outils politiques disponibles pour un groupe faible résistant contre un État fort, parfois oppresseur. Aujourd’hui, le terrorisme est principalement marqué par l’idéologie islamiste, à volonté universelle, mais l’utilisation de cette technique remonte à bien loin, la vidéo évoquant les zélotes se soulevant contre l’empire romain. Les groupes terroristes cherchent toujours à mettre en place une “guerre perpétuelle de basse intensité”, selon eux le seul recours à leur disposition contre un ennemi plus puissant. Néanmoins on voit récemment plusieurs groupes terroristes chercher à quitter la lutte armée au profit d’une inclusion dans le jeu politique, comme l’ETA, l’IRA, le FLNC, le Hamas, mais aussi Gamaa al-Islamiya, le groupe terroriste à l’origine de l’attentat de Louxor dont la vidéo traite.

[VIDEO] Kim Il-sung et le destin de la Corée
L’excellente chaîne de P.A.U.L. spécialisée dans les biographies vidéo nous propose un sujet particulier: la vie de Kim Il-sung, fondateur du régime nord coréen tel qu’on le connaît. Déjà jeune, il intègre les rangs des militants armés favorables à une indépendance de la Corée (alors occupée par l’Empire du Japon dont on parlait ici) et trouve un soutien de taille chez les idéologues marxistes. Alors entraîné dans la verve communiste, il déplacera la lutte contre un autre impérialisme, américain cette fois, et cherchera à libérer la péninsule coréenne dans son entièreté, alors que le Sud est occupé par des forces américaines. L’assaut est donné en 1950, marquant le début de la guerre de Corée. Les communistes du Nord, sous l’égide de Kim Il-sung, progressent jusqu’à Busan, à l’extrême sud de la Corée, avant que des renforts américains ne viennent repousser l’assaut. Grâce à l’envoi de troupes chinoises, les forces communistes ne perdent pas totalement la face, et la guerre s’arrête, en 1953, à la frontière que l’on connaît aujourd’hui. Kim Il-sung, présenté comme le grand leader défenseur de l’utopie communiste coréenne, règne d’une main de fer, renforce son pouvoir et accentue le monolithisme du régime. À sa mort, son fils lui succède, puis son petit-fils, actuel chef d’État de la Corée du Nord. C’est une première dans le monde: une dynastie communiste au pouvoir. La vidéo de P.A.U,L, s’interroge alors sur la légitimité du régime à long terme. Si Kim Il-sung était effectivement un libérateur en son temps, admiré par une grande partie de la population, ses descendants ne partagent que son sang, et le soutien populaire pourrait s’effriter malgré la propagande lobotomisante. Une vidéo nécessaire pour mieux comprendre la situation actuelle de ce pays triste et mystérieux.

[VIDEO] La Grande Bretagne, la Chine et l’opium
Questions d’Histoire revient avec une vidéo sur la première guerre de l’opium opposant la Grande Bretagne et la Chine. Au 19ème siècle, la Couronne britannique importait de grandes quantités de thé et de soie depuis la Chine, mais les Chinois n’importaient pas de produits manufacturés anglais en retour, provoquant un déséquilibre dans la balance commerciale de Londres. Les Anglais vont alors commencer à vendre massivement de l’opium, drogue très prisée par la population chinoise. Or le gouvernement de la Dynastie Qing, notant les effets dévastateurs du produit pour la santé publique, l’interdit déjà en 1729. La Grande Bretagne continue pourtant de faire affluer l’opium par la contrebande, utilisant les nombreux champs de pavot de sa colonie indienne, voisine de l’Empire de Chine, et contournant les interdictions d’amarrer dans de nombreux ports. Quand les Chinois commencent à détruire les cargaisons, les Britanniques attaquent des flottes chinoises. Quand l’Empire de Chine interdit “pour toujours” l’accès au port de Canton pour les navires britanniques, la Couronne envoie un nombre important de soldats pour forcer la réouverture des ports et le remboursement des marchandises détruites. Les forces anglaises occupent Hong-Kong, situé au Sud, pour organiser leur campagne vers Pékin au nord. Aisément vaincus, les chinois cèdent Hong-Kong à la Grande Bretagne, rouvrent les ports et acceptent de payer une grosse indemnité en réparation des destructions de cargaisons. Hong-Kong sera rétrocédé à la Chine en 1997 seulement, avec un statut spécial d’autonomie.

L’auteur de la vidéo argumente que cette guerre était mercantile, poussée par l’idéologie libérale, puisque les anglais ont voulu imposer la liberté des marchés par la force. C’est un exemple intéressant de conflit causé par des questions uniquement commerciales, sans aucune autre animosités que celles provoquées par des mesures économiques. Une deuxième guerre de l’opium aura lieu quelques décennies plus tard, et l’Empire chinois s’écroulera en 1912. Note: tout ce temps, l’opium était bien interdit sur le territoire anglais pour des questions sanitaires. La Couronne britannique en produisait seulement pour l’exportation, bien loin de Londres.

Pour se pencher sur cette guerre plus en détails, mais toujours en vidéo, Extra Credits a sorti il y a quelques temps une minisérie animée en 4 épisodes sur le sujet.

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