L’imbroglio Khashoggi, la fonte des glaces et la géopolitique, le potentiel nouvel État Islamique

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Dans ce nouveau numéro de GéoPol, on ne parlera pas du premier tour de la présidentielle au Brésil, qui voit le candidat d’extrême-droite Jair Bolsonaro remporter 46% des voix. Il affrontera donc Fernando Haddad, proche de l’ex-président Lula, qui a obtenu 29% des voix. Le résultat n’est pas surprenant, tous les experts s’étant accordés auparavant sur son avance spectaculaire. Il est tout de même affligeant de voir un tel score, dès le premier tour, au profit d’un nostalgique de la sanglante dictature brésilienne, tenant des propos ouvertement misogynes et homophobes, et regrettant le manque de violence de la police. Son opposant Haddad a désormais besoin d’un “miracle” pour emporter les élections. John Oliver est revenu sur le triste CV du probable prochain président du Brésil.

On ne parlera pas non plus de la toute récente réélection de Paul Biya à la tête du Camroun, rapidement contestée par l’opposition, un schéma malheureusement récurrent dans cette région du monde. La situation est tout de même à surveiller, alors que les tensions augmentent entre les parties francophone et anglophone du pays, cette dernière voyant son mouvement indépendantiste prendre de l’ampleur. Des preuves de corruption et de fraudes aux élections ne feraient que jeter de l’huile sur le feu dans un pays au bord de la fracture.

On ne parlera pas non plus de l’incapacité du Royaume-Uni et de l’UE à parvenir à un accord sur les conditions du Brexit, notamment concernant la frontière entre l’Irlande du Nord britannique et la République d’Irlande. L’absence de compromis pourrait être catastrophique pour la paix dans cette région, encore en guerre il n’y a pas si longtemps, mais aussi pour le statut des citoyens britanniques en Europe et pour les relations économiques entre le Royaume-Uni et le vieux continent. Les négociations doivent se terminer au plus tard en mars, dans six mois.

Aujourd’hui, on va plutôt parler de l’affaire Khashoggi qui secoue le monde diplomatique, de l’impact de la fonte des glaces sur le commerce international et sur la géopolitique des régions arctiques, et de ce qui pourrait être le “nouvel État Islamique”. Bonne lecture!

L’Arabie Saoudite et le journaliste
C’est l’actualité chaude dans le milieu diplomatique: le journaliste Jamal Khashoggi, dissident saoudien travaillant entre autres pour le Washington Post, n’est jamais ressorti du consulat saoudien à Istanbul où il s’est rendu le 2 octobre. Sa disparition mystérieuse entraîne toute une cascade de réactions internationales, notamment de la part de la Turquie où se sont déroulés les faits et qui accuse le gouvernement saoudien d’être directement impliqué. Il faut dire que les circonstances n’aident pas la défense du royaume saoudien, qui a d’abord prétendu que le journaliste n’est jamais entré dans le consulat, puis qu’il s’y est rendu mais en est sorti, puis devrait prochainement sortir un rapport annonçant que des agents véreux ont pris l’initiative de tuer M. Khashoggi, selon des sources journalistiques. Différents enregistrements vidéo et audio diffusés récemment confirment l’idée que la victime a été torturée à mort dans l’enceinte du bâtiment. Il est connu désormais qu’une quinzaine d’agents spéciaux ont pris un avion dans la nuit pour Istanbul avant de revenir le jour-même en Arabie Saoudite. Différents médias confirment la thèse d’un assassinat commandité par le régime.

Il est difficile d’imaginer un scénario différent aujourd’hui. On peut assez sereinement affirmer que des agents saoudiens ont tué le journaliste exilé. La question d’importance aujourd’hui, c’est de savoir où se place la responsabilité de l’acte: était-ce un ordre du gouvernement ou une décision prise par des agents spéciaux eux-mêmes, sans l’aval du pouvoir en place? La première version laisse penser que le pouvoir saoudien essaie de tester son impunité, se reposant sur une protection sans faille des États-Unis depuis 1945. L’assassinat d’un dissident sur le territoire d’un pays rival est une démonstration de puissance pour tous les ennemis du régime (tout comme la Chine semble avoir fait concernant le président d’Interpol très récemment). Mais une telle manoeuvre semble pourtant assez improbable de la part du prince héritier Mohammed ben Salmane, dont la ligne politique est l’ouverture du pays sur l’étranger et la bonne foi diplomatique. Le second scénario, celle d’une initiative qui a échappé au pouvoir (un acte donc commandité par une agence de renseignement, des colonels militaires, une faction rivale au prince) est une possibilité, et semble même être la prochaine version officielle du royaume. Si tel est avéré, les conséquences restent graves pour l’État saoudien, puisque cela souligne la fragilité d’un pouvoir qui perd le contrôle sur ses propres institutions de sécurité, et qui est peut-être traversé de divisions. À l’heure où le royaume tente de se libéraliser, à l’intérieur comme dans ses relations avec l’étranger, le fait que des barbouzes prennent l’initiative de mettre en péril toute la diplomatie royale est une très mauvaise chose pour le gouvernement princier, qui ne s’est pas fait que des amis dans l’élite du pays. Quel que soit le scénario, c’est un tournant diplomatique pour l’Arabie Saoudite.

John Oliver a récemment sorti une vidéo sur le sujet, que je conseille comme toujours.

La fonte des glaces et le commerce mondial
Malgré les élucubrations de Donald Trump, c’est un fait, notre planète se réchauffe. Une conséquence immédiate est la fonte des glaces aux abords des pôles. C’est évidemment une catastrophe à de nombreux niveaux, notamment pour la faune présente dans les zones arctiques, ainsi que pour la montée du niveau des océans qui pourrait engloutir des îles entières. Pourtant, certains y trouvent leur compte. Récemment, un gros transporteur a ouvert une nouvelle voie maritime traversant des territoires maritimes habituellement impraticables à cause de la présence de glaces. L’idée est avancée déjà depuis plusieurs années, et l’ouverture de la “Route Maritime Nordique” permet de monstrueuses économies, réduisant de moitié la distance de certains trajets intercontinentaux. Outre le temps de trajet gagné, c’est aussi une grande économie en ressources de carburant dont le prix est très prohibitif (et donc, ironiquement, une réduction de la pollution émise pour un voyage).

Plusieurs nouveaux passages maritimes s’ouvrent dans les régions arctiques, côtés russe et américain. Cette nouvelle perspective réjouit les transporteurs et autres gros investisseurs, mais une telle nouvelle route pose aussi une question d’ordre géopolitique: à qui appartient ces territoires maritimes désormais praticables? La Russie gagnerait une grande influence sur le marché internationale si le “Passage Nord-Est” était amené à être plus largement utilisé dans les années à venir. Le Canada, lui, milite pour faire reconnaître les eaux de son archipel nordique comme des “eaux intérieures”, impliquant que le pays y exerce une souveraineté exclusive (et pourrait y imposer des droits de douane). Les États-Unis, entre autres pays, refusent une telle qualification et arguent que ces eaux sont internationales, supposant une liberté de naviguer et l’absence de droits de passage. 

À noter que la fonte des glaces va également permettre l’exploitation de certaines poches de pétrole, promettant peut-être un regain de tensions dans les régions arctiques concernant des questions de souveraineté.

Une carte des deux “passages” des routes maritimes arctiques 

L’État Islamique, sa mort et sa suite
D’un proto-État de la taille de la Serbie à un groupe vivotant dans le désert, le groupe État Islamique est considéré par beaucoup comme aujourd’hui sur sa fin. Après la perte de son territoire en Syrie et en Irak, le groupe islamiste a tenté de continuer d’encourager la commission d’attentats au Moyen-Orient et en Europe, avec tout de même moins de succès que lors de ses précédentes périodes d’activité. La chute du “califat” pose donc une question d’importance: qui prendra la place? National Interest s’interroge sur le futur du paysage islamiste dans la région, alors que déjà des groupes djihadistes profitent du vide laissé pour gagner de l’importance dans leur région de prédilection. La faiblesse des forces de sécurité présentes dans la région en guerre depuis maintenant plus de six ans permet le développement de groupes terroristes clandestins.

L’article revient sur la formation et l’évolution rapide d’Al Qaeda dans la Péninsule Arabique (AQPA). née alors que le très recherché Ousama Ben Laden ne peut plus vraiment assurer sa position de leader, et grossissant en fusionnant plusieurs réseaux djihadistes, en s’entourant de proéminants djihadistes (penseurs, artificiers, etc.), en prenant en compte les problématiques locales pour profiter de l’appui de la population. AQPA s’est développé grâce à un environnement propice, le Yémen meurtri par la guerre mais surtout qui disposait de territoires entiers échappant à tout contrôle de l’État. L’auteur de l’article mis en lien envisage la Libye comme ayant une situation similaire aujourd’hui. Le pays toujours rongé par le chaos est un potentiel terrain favorable pour la naissance d’un nouvel État Islamique. Un pays bien plus proche de nos frontières…

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