Un 11 Novembre mouvementé, un terrorisme changeant, une guerre bactériologique nouvelle, un risque de guerre nucléaire augmenté

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Aujourd’hui on ne va pas parler des célébrations du centenaire de l’armistice de Novembre 1918 qui ont été une ultime occasion d’enflammer le Twitter de Donald Trump. Ce dernier s’est mis hors de lui suite à la mention par Emmanuel Macron d’initier un projet de système d’intervention militaire européen. L’idée d’une armée européenne est ancienne, mais elle revient beaucoup sur le devant de la scène depuis l’élection d’un Trump mettant une grosse pression financière sur les membres de l’OTAN, ainsi que depuis le virage autoritaire de la Turquie, membre de l’organisation. Évidemment, l’idée ne plaît pas aux États-Unis dont l’OTAN est l’antenne, et qui a un fort avantage à garder l’Europe dans son giron politico-militaire. La carte ci-dessous aide à voir plus clair en quoi un tel projet est menaçant pour les États-Unis.

Un régime Trump également épinglé par le discours historique d’Emmanuel Macron, dont on retiendra sûrement longtemps le passage suivant, bien que peu novateur: “le patriotisme est l’exact contraire du nationalisme. Le nationalisme en est sa trahison”. La fracture transatlantique s’approfondit. 

On note également, de manière plus anecdotique, que le Président serbe Aleksandar Vučić a exprimé son grand désarroi d’être placé à une position peu honorable parmi les chefs d’États présents, en bout de rangée et loin des pays ayant eu un rôle majeur pendant la Grande Guerre. La Serbie, alliée de la France en 1914-1918, est un des pays ayant souffert les pertes humaines les plus importantes, et ayant été essentiel sur le front est contre les forces allemandes, bulgares et ottomanes. Pour accentuer le problème, le président kosovar avait une place d’honneur, derrière les chefs d’États de grandes puissances. Une bévue diplomatique peut-être volontaire.

Aujourd’hui, on va donc plutôt parler de l’évolution de la menace terroriste aux États-Unis, de la stratégie de guerre bactériologique indirecte en Syrie, du risque accru de guerre nucléaire causée par la course aux nouvelles technologies. On finira sur deux vidéos sur l’évolution des frontières, l’une sur le cas de Chypre, et l’autre sur l’entièreté de la planéte depuis 1918. Bonne lecture!

Carte d’Europe des forces militaires. Sur la gauche, un comparatif des plus grandes forces armées mondiales si les nations européennes conjugaient leurs forces. À noter qu’il n’est pas encore question de joindre toutes les armées nationales, mais de créer une force d’intervention, donc que les effectifs seraient vraisemblablement plus faibles. Pour autant, l’infographie souligne à quel point une Europe unifiée peut représenter une menace pour les États-Unis et les autres grands États en terme de compétition pour la puissance mondiale. 

Le terrorisme, l’intérieur et l’extérieur
Les États-Unis ont récemment été secoués par deux importantes menaces. Un cinquentaire, apparent supporter de Trump, a envoyé au moins 15 colis contenant des bombes artisanales à des célébrités libérales américaines. Quelques jours plus tard, un militant d’extrême-droite a ouvert le feu sur les fidèles de la synagogue de Pittsburgh, tuant 11 personnes. Un lien évident est à faire: les deux attaques ont été perpétrées par des citoyens américains radicalisés, travaillant a priori seuls. Une raison pour laquelle Foreign Affairs affirme que les groupes terroristes étrangers ne sont plus la principale menace terroriste aux États-Unis.

Depuis le 11 septembre, événement qui a refondé tout le système de sécurité des États-Unis et du reste du monde, les groupes djihadistes du Moyen-Orient comme Al Qaeda ou l’État Islamique n’ont pas démontré des capacités extraordinaires pour ce qui est de fomenter des attentats sur le sol américain. Depuis 2001, toutes les attaques islamistes ont été perpétrées par un citoyen américain. Aucun n’était un migrant clandestin. Depuis 2010, aucune attaque n’a été effectuée par un islamiste ayant reçu un réel entraînement de la part d’un groupe terroriste étranger. La plupart des perpétrateurs n’avaient même pas une communication directe avec les groupes terroristes en question, et se sont surtout inspirés de leur déologie diffusée globalement.

On note aussi un glissement vers le terrorisme d’extrême droite. Depuis le 11 septembre 2001, les djihadistes ont tué 104 personnes sur le sol américain. Les terroristes de droite ont fait 86 victimes. Le nombre d’attaques liées à l’extrême-droite américaine semble être en hausse, quand le nombre de tentatives d’attentats par l’Islam radical baisse. Les États-Unis ont besoin de changer leur politique de sécurité, aujourd’hui concentrée principalement sur la surveillance de réseaux islamistes étrangers. Il est peu probable que Donald Trump ait la volonté politique d’initier un tel changement.

À noter que récemment un jeune russe a commis un attentat suicide au siège du FSB, une des principales agences de renseignement du pays. L’attaquant s’est revendiqué anarchiste, et aurait choisi l’action directe en soutien à ses camarades torturés. Le terrorisme de droite est aujourd’hui plus présent dans l’actualité, mais il n’est pas impossible qu’une recrudescence de son équivalent de gauche soit à déplorer dans les années à venir, au vu des tensions politiques et sociales ayant cours en Europe et aux États-Unis. Il n’y a pas si longtemps, le monde du terrorisme était encore principalement marqué par le clivage des groupuscules d’extrême-droite et d’extrême-gauche.

Al-Assad, les hôpitaux et la guerre biologique
Traditionnellement, on comprend la “guerre bactériologique” comme étant l’envoi d’éléments pathogènes sur les forces ennemies, ou les civils. Annie Sparrow dans Foreign Policy décrit ce qui devrait être considéré comme une autre dimension de la guerre biologique, notamment pratiquée par le gouvernement en Syrie: la volonté de diminuer la qualité des services de santé chez l’ennemi. Les médias ont porté leur attention sur les attaques au gaz sur des civils par le gouvernement Al-Assad, mais une stratégie plus diffuse a été d’empêcher l’acheminement de ressources médicales dans les zones rebelles, comme les vaccins contre la polio mais aussi des outils de premières nécessités pour les médecins, comme les seringues et les gants médicaux. Plus le système de santé devient déplorable dans ces régions, plus la propabilité d’une épidémie ravageant les forces combattantes ennemies grimpe. À l’inverse de ces zones rebelles, les campagnes de vaccination suivent leur cours dans les régions plus “loyales”. Il est à noter que la polio, éradiquée de Syrie en 1995, est réapparue en 2013 dans une région aux mains de la rébellion.

La stratégie d’attaques contre le système de santé inclut aussi les médiatisés bombardements d’hôpitaux, ainsi que des menaces envers les médecins qui ne suivraient pas les directives gouvernementales. On estime que 800 médecins ont été exécutés pendant le conflit, et 15 000 ont fui le pays.Cette stratégie, que l’on observe également au Yémen, n’est pas juste un désastre humanitaire pour le pays, mais peut menacer la santé publique dans le reste du monde. Une épidémie de polio pourrait s’étendre bien au-delà des frontières du Moyen-Orient. La multiplication de “superbactéries” qui provoquent des infections monstrueuses aux blessés, et sont de plus en plus résistantes aux antibiotiques, sont un risque pour la résistance aux antibiotiques de manière globale, qui est un des risques de santé publique les plus pressants. L’incapacité de mettre un frein à ces superbactéries dans un pays où elles peuvent se développer rapidement est un danger pour nous tous dans les années à venir.

Les nouvelles technologies et les risques de guerre nucléaire
On part un peu plus dans la théorie avec un article du Bulletin of the Atomic Scientists qui vient soulever l’hypothèse que le développement de certaines technologies récentes, comme l’intelligence artificielle, pourrait augmenter les risques d’éclatement d’une guerre entre puissances nucléaires. À titre d’exemple, l’article propose le scènario qui suit. Les États-Unis considèrent que leurs capacités offensives de cyberguerre sont assez au point pour lancer une attaque de grande ampleur. Ils ont pour plan de mettre hors service tout le système de tir nucléaire chinois (qui représente a priori quelques centaines d’ogives). Par la suite les États-Unis lanceraient une immense offensive pour détruire toutes les capacités nucléaires chinoises, mises hors service. En une offensive, les États-Unis mettent à genoux la Chine, qui passe de puissance nucléaire à puissance militaire désordonnée. Or, imaginons que la Chine est au courant de ce plan, ou sait que les États-Unis ont les capacités nécessaires pour une telle attaque. Dans un tel cas, serait-il rationnel pour les décideurs chinois d’envoyer toute leur force nucléaire contre les États-Unis avant que l’arsenal soit mis hors service, même si une guerre nucléaire est vouée à l’échec?

Le scénario est un peu spécifique, voire tiré par les cheveux, mais il a le mérite de mettre en lumière le problème géopolitique que posent les nouvelles technologies: ces dernières peuvent très rapidement changer les rapports de puissance offensive des États, changements qui représentent un gros risque pour la stabilité internationale. Les capacités militaires conventionnelles et militaires ne permettent plus des “révolutions” capables de changer qui domine le monde. Les capacités de cyberguerre, en revanche, évoluent assez vite pour changer les rapports de force, et amener rapidement une grande puissance vers une domination militaire qui pourrait pousser une plus petite puissance à une guerre préventive.

[VIDEO] Chypre, son indépendance et sa division
La chaîne YouTube WonderWhy revient avec son fort accent écossais pour nous raconter l’Histoire récente de l’île de Chypre. Longtemps sous domination britannique, l’île obtient son indépendance en 1959, mais reste divisée ethniquement entre habitants grecs et turcs. Alors que les trois nations protectrices, le Royaume-Uni, la Grèce et la Turquie, sont tenues de ne pas interférer dans les affaires nationales du nouvel État, elles se réservent le droit d’intervenir si des événements venaient bousculer le statu quo et/ou si une minorité ethnique se voyait menacée. C’est ce que la Turquie a considéré être le cas lorsque le président grec a pris des mesures menaçant les droits de la minorité turque, en parallèle de troubles violents perpétrés par des paramilitaires grec en 1963. Les casques bleus de l’ONU sont déployés l’année suivante pour éviter la guerre civile. Des tractations secrètes entre le Royaume-Uni et les États-Unis concluent de la nécessité de partager l’île en deux, selon des critères ethniques, une vieille revendication turque (un moyen donc de séduire Ankara pour que le pays reste dans l’OTAN). En 1974, une tentative de coup d’État par des militaires chypriotes grecs, dans le but de rattacher l’île à la Grèce, provoque l’intervention militaire de la Turquie pour protéger la minorité turque de l’île. Depuis lors, l’île est divisée entre un Nord-Est turc, dans un État reconnu uniquement par la Turquie, et un Sud-Ouest grec qui représente la continuation de l’État indépendant de Chypre, aujourd’hui membre de l’Union Européenne. Des pourparlers réguliers ont lieu entre les deux régimes afin de trouver une solution pour se diriger vers la réunification de l’île.

[VIDEO] Le siècle et les frontières
WonderWhy nous propose une longue vidéo sur tous (ou presque) les changements de frontières depuis la fin de la Grande Guerre, en 1918. Passant d’un continent à l’autre, on profite d’un bon tour d’horizon de ce qui a fait et défait des pays, partitionné des empires, changé des continents entiers. Dans une Europe pacifiée, et dans un monde où les guerres de conquête n’ont plus lieu, les frontières nous paraissent désormais assez stables. La vidéo nous rappelle pourtant qu’en seulement cent ans la forme des États a grandement changé. De l’entre-deux guerres à la fin de la guerre froide, en passant par la décolonisation, il est intéressant de jauger à quel point la géopolitique des frontières a été en constante transformation.

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