L’Inde et le Pakistan s’échauffent, Al Qaeda s’appaise, les sous-marins se préparent, le cyberespace s’arme

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Les traditionnelles brèves nouvelles du Kosovo, où l’on entend toujours parler d’un accord de partition entre la Serbie et la République du Kosovo. Toujours très flou, mais avec de nouvelles “fuites” dans les médias évoquant les zones échangées, les zones à statut spécial, le rôle de l’OTAN, etc. Certains organes de presse évoquent le 12 juin comme date annoncée de la signature de l’accord. Tout reste au stade de bruits de couloirs, et il est dur de démêler le vrai du faux, ni les réelles perspectives futures pour une Serbie minée par les manifestations de masse contre le pouvoir, et pour un Kosovo dont l’exécutif est au bord de la fracture, provoquant potentiellement des élections anticipées. Sur place, on espère le meilleur pour les communautés qui seront encore une fois pris entre deux frontières, ou entre deux feux.

Aujourd’hui on ne parlera pas du sommet entre Trump et Kim, à Hanoï, qui n’a donné lieu à aucun accord final. Alors que les deux chefs d’État se rencontraient à nouveau pour avancer vers une dénucléarisation de la péninsule coréenne, il semble qu’ils ne s’entendent pas vraiment ni sur la définition de la dénucléarisation, ni sur les conditions à suivre pour y parvenir. Pas vraiment d’avancées, la Corée du Nord va garder ses ogives et les États-Unis vont maintenir leur présence accrue en Corée du Sud. Espérons que le simple fait qu’ils se parlent évitent toute escalade (surtout quand Trump parle presque d’amitié personnelle entre les deux dirigeants). 

On ne parlera pas non plus du témoignage choc de Michael Cohen, ancien avocat de Trump, à l’encontre du Président américain, car le retentissement n’est pas (encore) international. Il faut tout de même noter qu’on est proche d’une vraie crise politique aux États-Unis, et que les bases légales pour un impeachment se font de plus en plus voir. Dans ce cas, les retentissements internationaux seraient cette fois évidemment importants.

En revanche on va parler de l’actualité brûlante avec une importante crise militaire en cours entre l’Inde et le Pakistan, puis on discutera du changement de stratégie d’Al Qaeda ces dernières années. On finira avec une vidéo décrivant les sous-marins nucléaires, de l’ingénieurerie à la stratégie qui en découle, puis avec une seconde vidéo sur les enjeux de la cybersécurité. Bonne lecture!

L’Inde, le Pakistan et la grosse crise
Une série d’événements très récents nous illustrent très bien comment se déroule une crise internationale, son escalade, et peut-être sa désescalade. La crise est d’autant plus à surveiller qu’elle implique deux puissances nucléaires voisines. 

Le 14 février 2019, un attentat vise un convoi de forces de police indienne, faisant 40 victimes. L’attaque a lieu dans la région du Cachemire, disputée entre l’Inde et le Pakistan (ainsi que la Chine, mais le pays semble pour l’instant absent de la crise). L’attentat est, sans surprise, revendiqué par un groupe islamiste pakistanais, dont le but est de “libérer le Cachemire”, et le rattacher au Pakistan. L’Inde accuse le Pakistan de laisser faire, si ce n’est d’activement aider ces militants islamistes. Face à l’inaction des forces pakistanaises, l’Inde s’octroie le droit, le 26 février d’envoyer douze Mirage 2000 (avions de chasse français, cocorico) bombarder un camp d’entraînement au delà de la “Ligne de Contrôle” (zone de cessez-le-feu depuis 1949), sur territoire pakistanais. Des accrochages ont lieu à la frontière, avec des tirs d’armes à feu et de mortiers. Le 27 février, le Pakistan abat deux avions de chasse indiens qui ont pénétré l’espace aérien pakistanais. Deux pilotes indiens sont capturés. Le lendemain, le Pakistan ferme l’entièreté de son espace aérien, et l’Inde ferme les aéroports au Nord Ouest, proches de la zone de tensions. 

On se retrouve avec des affrontements ouverts, la réouverture d’un conflit aussi vieux que l’indépendance du Pakistan en 1947, des incursions dans le territoire de l’autre, la violation d’un cessez-le-feu surveillé par des institutions internationales. La communauté internationale se met sur le qui-vive, et tente de trouver des solutions. La situation, encore une fois, est d’autant plus grave qu’on parle de deux puissances nucléaires possédant assez d’ogives pour faire un gros carnage chez le voisin. À l’heure où j’écris ces mots, il est très dur de savoir si la crise va s’amplifier (jusqu’à un potentiel conflit très très dévastateur avec des conséquences globales) ou va désescalader. On a vu un premier signe d’appaisement avec le Pakistan annonçant la relâche d’un des deux pilotes capturés, avec un appel à la paix. Les deux puissances savent que l’escalade ne leur apporterait pas tant de bénéfices, et semblent entendre les craintes de la communauté internationale. Bien que les deux chefs d’État soient nationalistes et semblent assez belliqueux vue la suite d’événements, on peut espérer un retour à la normale rapidement. J’espère ne pas me tromper.

Une carte du Cachemire, montrant la ligne de contrôle séparant les zones administrées par le Pakistan et par l’Inde

Al Qaeda et le changement 
Beaucoup de nous avons grandi avec l’idée que le groupe terroriste Al Qaeda était la principale menace pour la sécurité dans le monde, du fait de leur capacité à proférer des attentats aussi spectaculaires que meurtriers aux quatre coins du monde. Puis vint l’État Islamique, paroxysme de la folie djihadiste, avec une logique encore plus sanglante contre les civils, et même contre les musulmans eux-mêmes. Depuis, on entend moins parler d’Al Qaeda. Et pour cause, ces derniers ont radicalement changé de stratégie. Comme l’écrit The Atlantic, les islamistes sunnites rattachés à Al Qaeda ont désormais comme priorité de se tourner vers une meilleure gouvernance locale.

Ce que ça veut dire concrètement: plutôt que se concentrer à exporter la violence vers l’Occident, les militants d’Al Qaeda vont se concentrer à démontrer les avantages de leur contrôle politique là où ils ont une emprise territoriale. Mise en place d’hôpitaux, envoi de professeurs dans les écoles, aide aux populations locales, le mouvement passe pour des bienfaiteurs dans les régions locales, consolidant leur emprise politique grâce au soutien des populations. C’est une logique qui rappelle certains autres groupes non-étatiques, comme le Hezbollah libanais qui désormais a une emprise énorme sur le pays, mais aussi dans une certaine mesure les mafias italiennes qui consolident leur présence en étant les seuls fournisseurs de services publics dans certaines régions reculées. Le rejet des actions violentes loin des terres musulmanes est rendu clair dans un manuel stratégique de 2016 qui admet que ce genre de projets représente une “distraction inacceptable”. Al Qaeda gagne à être plus responsable, plus ancré localement et… plus apprécié.

Mais pourquoi ce changement contre-nature? Une réponse évidente est l’émergence et le développement de l’État Islamique et de ses franchises africaines et asiatiques. Le groupe, particulièrement sanglant y compris envers des musulmans, s’est attiré l’ire du monde entier, montrant le mouvement islamiste sous son pire aspect et délégitimant les salafistes du Moyen-Orient. Al Qaeda veut paraître plus acceptable et plus à même d’être approché diplomatiquement (à l’heure où, par exemple, les États-Unis ont accepté de négocier avec les Talibans afghans). Al Qaeda devient un mouvement politique qui a sa place dans le monde arabe, devient moins marginalisé, et qui peut exercer une certaine pression grâce à ses soutiens locaux.

Une autre potentielle cause avancée par l’auteur de l’article, un peu moins convaincante à mon goût, est que Al Qaeda suivrait l’exemple du Hezbollah. Ce mouvement chiite anti-sioniste basé au Liban a d’abord eu une stratégie similaire au Al Qaeda des années 2000, avec des attentats d’ampleur, des kamikazes et des attaques envers les civils. Puis le groupe a commencé à se tourner vers la gouvernance locale, contrôlant environ un tiers du Liban (grâce notamment à la construction et à la gestion d’hôpitaux, d’école, etc.) ce qui lui a bien plus bénéficié sur le long terme. Aujourd’hui, on ne peut concevoir un Liban sans Hezbollah, et personne ne peut composer sans eux dans la politique nationale. Al Qaeda s’est certainement inspiré de cet exemple pour opérer un revirement stratégique aussi brutal. L’auteur argue en conséquence que ce revirement est parti pour durer, comme il dure pour le Hezbollah. Peu convaincant à mon goût car très prospectif, et ne s’appuyant sur aucune preuve tangible (il va sans dire qu’Al Qaeda ne pourrait pas publiquement vanter les mérites d’un groupe rival chiite).

À noter que l’article a une analyse intéressante de l’attentat suicide, traité ici cyniquement comme une méthode de lutte. Il est intéressant de se demander à quel point cette pratique est bénéfique ou non pour un mouvement, et ce qui a décidé le Hezbollah puis Al Qaeda à y renoncer. Très cyniquement donc, la réponse est simple: cela coûte beaucoup de temps et d’argent pour peu de bénéfices. Il est possible aussi qu’on ait passé le cap de “l’innovation”, puisque la pratique paraissait plus spectaculaire au début de la vague djihadiste des années 1980. Le capital symbolique a perdu de son intérêt.

[VIDEO] Les sous-marins nucléaires
WendoverProductions nous propose une vidéo expliquant les tenants et les aboutissants des sous-marins nucléaires, dont on ne comprend pas toujours l’utilité stratégique. Il y a divers moyens de lancer une attaque nucléaire: par un bombardement aérien (comme ce fut le cas pour Hiroshima et Nagasaki, deux seuls cas d’attaques nucléaires dans l’Histoire), par un tir de missile longue portée depuis le sol (via un silo), par un sous-marin adapté, ce qui nous intéresse aujourd’hui… et même par un lance-missile portable, comme ce fut expérimenté avec le Davy Crockett. On parle de “triade nucléaire” lorsqu’un État possède des capacités sur le sol, dans les mers et dans les airs.

Mais quel est l’intérêt stratégique de tirer des missiles depuis la mer, précisément? L’idée est sordide, mais simple. Imaginons un scénario catastrophe: une guerre nucléaire s’enclenche entre la Russie et le Royaume-Uni. La Russie attaque en premier, et avec sa capacité d’attaque phénoménale, annihile totalement le Royaume-Uni (ses institutions, ses capacités militaires, sa capacité de riposter). Le Royaume-Uni n’est plus qu’un tas de cendres, et la Russie a gagné la guerre en quelques heures. Ce scénario change dès lors que le Royaume-Uni possède une flotte de sous-marins nucléaires, protégés de la première vague d’attaques (puisque voguant en pleine mer, indétectables). Ces derniers peuvent alors riposter. La Russie est au courant de cela avant de procéder à son offensive. C’est pourquoi le sous-marin nucléaire est pensé comme un élément décisif de la dissuasion nucléaire: l’ennemi sait que l’on possède une seconde force de frappe, capable de riposter même en cas d’attaque dévastatrice. La vidéo évoque un élément intéressant: chaque nouveau chef d’État britannique écrit une lettre de directives pour les équipes de sous-marins, en cas d’annihilation du pays: ne rien faire, riposter de leur propre chef, se rattacher aux ordres d’une puissance alliée, ou laisser le commandant du submersible juger par lui-même. La lettre reste scellée tant que le scénario catastrophe ne s’est pas présenté. Comme le démontre le début de la vidéo, les sous-marins nucléaires modernes peuvent transporter un stock de missiles suffisants pour lancer une attaque d’ampleur, et donc jouer leur rôle de seconde frappe dissuasive.

La vidéo parle aussi de la vie à bord, des dangers pour l’équipage, du roulement des équipes, etc. Une vidéo à voir si vous aviez l’idée saugrenue de vous engager dans la Marine sous-marine.

[VIDEO] Le cyberespace et le futur de la guerre
L’Humanité a eu sa crainte absolue de l’arme nucléaire, elle devrait maintenant commencer à craindre les dangers de la cyberguerre. Second Thought détaille rapidement les conséquences possibles d’une cyberguerre de grande ampleure, imaginant l’impact colossal que cela aurait sur une nation voire l’entièreté du globe. Dans notre monde hyperconnecté, reposant énormément sur les systèmes électriques, une attaque perfectionnée contre une nation pourrait affecter l’ensemble de sa population, en la privant par exemple de courant ou d’eau potable. Une attaque pourrait également viser à détruire des centrales nucléaires ou à incapaciter les réseaux de communication militaires pour préparer une large offensive conventionnelle de type invasion terrestre. 

La nature de la guerre, suivant ce raisonnement, change énormément de ce que l’on connaît. Sans une seule balle tirée, une toute petite nation aux cybercapacités élaborées pourrait causer des millions de morts et mettre à genoux des civilisations entières. Les grandes puissances se dotent de capacités de défense contre ce genre d’attaques, mais selon certains experts les efforts sont insuffisants pour l’instant. Rappelons que les normes internationales contrôlant ce genre de capacités sont extrêmement maigres. Rappelons aussi que les groupes non-étatiques peuvent également avoir une force de frappe démentielle dans le cyberespace, y compris les groupes terroristes.

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