L’Algérie et son chef Depuis des semaines, la jeunesse algérienne se soulève en masse. Entre l’esprit du printemps arabe et celui des gilets jaunes, la raison de la cristallisation des colères est l’annonce par le gouvernement d’une candidature pour un cinquième mandat présidentiel d’Abdelaziz Bouteflika. Ce dernier, Président depuis bientôt 20 ans, souffre d’une condition de santé extrêmement diminuée depuis sont AVC de 2013, mettant en doute sa capacité à gouverner. La volonté de rester en place met en lumière une sorte de masquarade, où les élites algériennes maintiennent artificiellement sa figure historique au pouvoir pour conserver leur régime politique. Évidemment, la jeunesse des grandes villes veut se défaire de ces manipulations, et se bat pour du changement et une meilleure démocratie.
Mais pour comprendre un peu les enjeux, il est important de comprendre qui est Abdelaziz Bouteflika, et comment il a consolidé son pouvoir depuis les années 1990. Beaucoup en France ne connaissent que très mal l’histoire de l’Algérie après son indépendance. Un des événements fondateurs de l’Algérie telle qu’elle existe aujourd’hui est sans aucun doute la sanglante guerre civile démarrée en 1991. Alors que le pays entame sa transition d’un pays socialiste à parti unique vers une « République populaire et démocratique », le mécontentement gronde, une grande partie de la population étant excédée par la crise économique suivant le deuxième choc pétrolier. Dans l’opposition, une voix se fait de plus en plus entendre, celle de l’islamisme, portée principalement par le Front Islamique du Salut. Cette coalition de mouvements plus ou moins radicaux gagne les élections législatives de 1991. Le gouvernement, toujours issu du traditionnel parti de libération nationale au pouvoir depuis l’indépendance, hésite sur la marche à suivre. Doit-il accepter de gouverner conjointement avec une majorité législative islamiste? Doit-il utiliser la force pour repousser la menace fondamentaliste? C’est l’armée qui prendra les choses en mains, forçant le président en place à démissionner, annulant les élections et prenant le pouvoir. Les islamistes entament une guerrilla visant tant les élites que les civils. Les troubles atteinrent même la France, avec plusieurs attentats fomentés par le Groupe Islamique Armé issu de ce conflit. La guerre civile prend fin en 2002, après 11 ans de vagues d’attentats, de massacres et de junte militaire.
En 1999, Abdelaziz Bouteflika, ancien combattant reconnu de l’indépendance, est élu à la Présidence. Il ménera une politique de concorde nationale, proposant l’amnistie pour de nombreux islamistes accusés d’infractions mineures s’ils acceptent de se rendre. En parallèle ont lieu des négociations avec des groupes islamistes pour leur faire accepter de déposer les armes. Ces mesures permettent un retour au calme relatif, et amènent quelques années plus tard à la fin de la « décennie noire ». Bien que l’islamisme ne soit pas vaincu, aujourd’hui encore, la fin de la guerre civile a permis à la société algérienne de retrouver une certaine stabilité. Depuis ce jour, Bouteflika est un Président indétrônable, malgré son actuel état léthargique.
Le mouvement social traversant principalement les grandes villes algériennes montre une fracture générationnelle. Les jeunes se soulèvent contre une vieille figure traditionnelle du pouvoir, une figure aujourd’hui obsolète, qui ne tient que par sa légitimité historique. Ce genre de figure historique et militaire, comme De Gaulle le fût en France, aide à cimenter la cohésion nationale à la suite d’un conflit ou d’un drame. Mais, vingt ans plus tard, cette légitimité s’essouffle avec l’arrivée d’une nouvelle génération qui n’a pas connu les troubles en question, ou du moins pas à l’âge adulte. On ne peut s’empêcher de penser aux Printemps Arabes, qui n’avaient qu’affecté superficiellement l’Algérie à l’époque, mais dont on retrouve l’esprit cette fois-ci. Comme pour ces mouvements précédents, le risque de supprimer cette figure historique et ce régime tenace sans transition douce est le retour d’un islamisme actif sur la scène politique, voire militaire. Ces craintes ne doivent pas être une excuse pour défendre des régimes autoritaires, mais il convient de prendre conscience de la menace, surtout au vu du passé traumatique de l’Algérie. |